L’expiration des brevets et le monopole du marché

Tout récemment la Cour suprême est venue préciser la portée de la propriété intellectuelle. En effet, l’arrêt Kirkbi AG. c. Ritvik Holdings Inc./Gestions Ritvik Inc. (2005 CSC 65), soit les fameuses briques LEGO, souligne le principe selon lequel un dessin purement fonctionnel ne peut servir de fondement à une marque de commerce déposée ou non déposée. La Cour a aussi clairement indiqué que le droit applicable en matière de commercialisation trompeuse et de marques de commerce ne peut servir à perpétuer un monopole lié à des brevets maintenant expirés favorisant ainsi la libre concurrence.

Kirkbi AG fut crée en 1932 exploite depuis de nombreuses années une entreprise prospère et bien connue de fabrication de jeux de construction destinés aux enfants sous le nom de LEGO. Ces jeux, constitués de petites briques de plastique uniformes, s’emboîtent grâce à un système de tenons et de cylindres creux. Quelques années plus tard, Kirkbi achète les brevets protégeant le système d’emboîtement Kiddicraft et perfectionne alors sensiblement les briques en ajoutant à leur face inférieure des cylindres creux destinés à recevoir les tenons de la face supérieure. Les brevets qui protégeaient ce système d’emboîtement au Canada et dans plusieurs autres pays sont maintenant expirés depuis 1988. De nouveaux concurrents se manifestent et tentent de commercialiser des produits similaires, voire identiques. Ritvik, un fabricant de jouets de Montréal représente son concurrent le plus agressif. Ritvik commence à fabriquer des jouets pendant les années 60. Plus tard, au cours des années 80, elle conçoit et commercialise une gamme de grosses briques pour jeux de construction. Enfin, après l’expiration des derniers brevets de LEGO au Canada, elle décide d’utiliser la technique classique de LEGO et met en marché une gamme de petites briques. Ces dernières ont les mêmes dimensions que les briques LEGO et présentent la même configuration géométrique de tenons sur la face supérieure et de cylindres creux sur la face inférieure. Ces briques sont distribuées sous le nom de « MICRO MEGA BLOKS ». Ritvik vend sa nouvelle gamme de briques au Canada et l’exporte dans plusieurs pays. Elle est ainsi devenue, au cours des 10 dernières années, un concurrent sérieux de Kirkbi dans le monde. Devant cette menace, Kirkbi tente désormais de protéger contre la concurrence sa part du marché et son achalandage en invoquant d’autres formes de droits de propriété intellectuelle.

Kirkbi invoque maintenant une marque de commerce non déposée, à savoir la « marque figurative LEGO » constituée du célèbre dessin géométrique représentant les tenons de la face supérieure des briques, pour intenter une action pour commercialisation trompeuse fondée sur l’al. 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T?13. Elle cherche à empêcher Ritvik de commercialiser ses produits concurrents sans les accompagner d’un avertissement en bonne et due forme que ses briques pour jeux de construction ne sont pas des briques LEGO et ne sont pas fournies par Kirkbi. Selon l’appelante, l’absence d’une telle mise en garde destinée aux consommateurs engendre de la confusion et donne ouverture à une action pour commercialisation trompeuse fondée sur l’al. 7b).

Commercialisation trompeuse

En effet, l’article 7b) précise que « nul ne peut appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre » L’état du droit en matière de commercialisation trompeuse exige que l’on établisse l’existence de trois éléments pour obtenir gain de cause dans une action pour commercialisation trompeuse fondée sur le droit d’origine législative ou sur la common law : l’existence d’un achalandage, le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration et le préjudice réel ou possible pour Kirkbi AG. Or, l’action de Kirkbi AG était vouée à l’échec car elle n’a pas été en mesure de remplir la première condition. Le prétendu caractère distinctif tenait précisément au procédé et aux techniques maintenant répandus dans l’industrie.

Protection économique

Dans le cas des marques de commerce, la perspective se déplace du produit lui?même au caractère distinctif de sa mise en marché. En effet, les marques de commerce servent à indiquer, de façon distinctive, la source d’un produit, d’un procédé ou d’un service, afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance. Or la Cour a soulevé le point suivant : la marque peut?elle être le produit lui-même?

Bien qu’elles ne protègent pas le produit lui-même, les marques de commerce peuvent acquérir une énorme valeur économique et l’achalandage rattaché à une marque est alors perçu comme un bien très précieux. Cependant, malgré le rapport qu’elle a avec un produit, une marque ne doit pas être confondue avec le produit qu’elle sert à identifier. Avec l’expiration des brevets, la technique LEGO est tombée dans le domaine public. Le nom LEGO, apposé sur le produit ou son emballage, ou employé dans la publicité relative au produit, continuait d’être protégé, mais le monopole sur les marchandises elles-mêmes n’existait plus. Le droit des marques de commerce ne vise pas à empêcher l’utilisation concurrentielle des particularités utilitaires d’un produit, mais sert plutôt à distinguer les sources des produits.

En conclusion, Kirkbi n’a pas été en mesure de remplir la première condition de l’action, soit l’existence d’un achalandage rattaché au caractère distinctif du produit. La prudence de la Cour s’explique par le fait qu’accueillir une telle requête dans ces circonstances reviendrait à rétablir un monopole contrairement aux politiques fondamentales des lois et des principes juridiques qui régissent les diverses formes de propriété intellectuelle dans notre système de droit canadien. On tend ainsi à favoriser la libre entreprise.


Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

Tiré de La pub et le droit (c) Natalie Gauthier 2004-2006

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